Article de Christine BOISRIVEAUD, psychologue clinicienne à l’Hôpital Edouard Herriot de Lyon, extrait du Néphrogène N°38 du 15 Octobre 2004

En tant que psychologue dans le service de néphrologie et de transplantation rénale de l’hôpital Edouard Herriot depuis quelques années, je reçois en consultation systématique les patients candidats à une inscription sur la liste d’attente de transplantation. Certains sont déjà dialysés, d’autres en passe de l’être et quelques rares sont greffés avant d’avoir connu la dialyse et ses contraintes. A l’issue de cet entretien, des patients sollicitent une aide psychologique, à but thérapeutique.

C’est à partir de ces suivis que je peux vous donner quelques éléments psychologiques concernant les maladies rénales familiales et plus particulièrement la polykystose rénale.

Je tiens à préciser que bien que porteurs de la même maladie, les patients sont tous différents. Chaque famille possède son histoire et chaque individu au sein d’une même famille est lui-même unique. Cependant, mes remarques n’étant pas exhaustives, vous pouvez ne pas vous retrouver dans cet exposé.

Les maladies rénales sont des maladies silencieuses. Dans le cas de la polykystose rénale dominante autosomique, la maladie se ressent le plus souvent en phase terminale et le patient ne se sent malade qu’à partir du stade de la dialyse. Il est alors confronté aux bouleversements sociaux qui accompagnent cette période, et qu’il a déjà pu vivre avec ses parents eux-mêmes atteints. Comment gérer dialyse et vie familiale, dialyse et vie professionnelle, dialyse et temps de loisirs, sans trop de perturbations avec les proches ? Toutes ces contraintes lui renvoient les difficiles réalités de l’histoire familiale.

Lorsque l’histoire familiale est marquée par la loi du silence ou est un sujet tabou, avec parfois un sentiment de honte, voire de culpabilité, la maladie et ses contraintes peuvent entraîner une distension familiale. Lorsque à l’âge adulte, parfois déjà parent, le patient découvre ce lourd secret, peuvent alors intervenir des processus psychiques qui se traduiront par : “Pourquoi moi ? Qui m’a transmis ? Pourquoi ce silence ?”

A l’inverse, j’ai rencontré des familles qui ne vivent plus qu’avec la maladie. Toutes les décisions, tous les choix professionnels, tous les choix sont en lien avec le problème de santé. La famille est angoissée sur l’avenir en permanence, ce qui peut être une forme “d’étouffement psychique”. Ainsi certains enfants ne s’éloignent pas du domicile parental, même à l’âge adulte, leur éducation les contraint à rester proches.

Mais la plupart des familles sont loin de ces extrêmes et vivent en intégrant le handicap familial sans pour autant en faire un facteur d’identification dominant.

Néanmoins, la réalité oblige à envisager un avenir professionnel en fonction des futures contraintes, même si les progrès médicaux permettent plus d’autonomie. Pour illustrer, je reprendrai le témoignage de François Regnault (un patient atteint de polykystose rénale) lorsqu’il dit : “J’avais 19 ans et l’échographie rénale ne permettait pas alors de poser à cet âge un diagnostic fiable. Le médecin me conseilla cependant un emploi stable, avec une bonne protection sociale, fonctionnaire par exemple. Cette réponse m’a longtemps hanté”. Effectivement, il n’est pas simple de prévoir un avenir si la maladie n’est pas décelée suffisamment tôt avec un risque de remise en question du jour au lendemain.

Quelle place pour ceux qui ont échappé à cette hérédité au sein de la fratrie ? Marcel Rufo parle du sentiment d’appartenance à une famille dans les cas de la maladie héréditaire. Il écrit : “Des alliances peuvent naître autour d’un trouble commun. Si, dans une famille, deux enfants sur trois sont atteints de la même maladie génétique, ils développeront une certaine complicité en partageant les mêmes examens, les mêmes traitements ; le troisième, lui, sera quelque peu exclu. Il pourra même ne pas être reconnu comme faisant partie de la famille. Des sentiments croisés de jalousie se noueront alors ; l’enfant sera jaloux de la maladie des deux autres et des avantages qu’ils en retirent sur le plan affectif tandis que ces derniers feront “jalousie commune” face à la santé du troisième”.

Ces propos ne correspondent pas tout à fait à mon expérience. Il m’est plus souvent apparu que “le sain” de la famille se sentait un devoir envers les autres et tentait de se déculpabiliser par des actions en faveur du don d’organes, allant jusqu’à se proposer comme donneur d’un rein, de son vivant, dès que l’âge le lui permet, surtout chez les jumeaux.

Pour conclure, j’emprunterai les propos de Micheline Lévy : ”Comme le montrent les différents témoignages, les réactions des patients sont variées. Mais dans ces réactions, quels sont les poids respectifs, non seulement du vécu propre de l’individu malade et du vécu de sa famille par rapport à la pathologie rencontrée, de sa connaissance de la maladie et de sa connaissance de la transmission d’une génération à l’autre, mais aussi de la religion, de l’éducation, de l’environnement, de la structure familiale ? Sans que l’on connaisse la hiérarchie de ces facteurs, l’expérience de ceux qui s’intéressent à ces questions fait apparaître que les réactions des patients sont imprévisibles”.

En effet, si les recherches scientifiques sont de grande importance pour l’avenir des patients, il me semble indispensable que chaque patient garde son identité quelle que soit sa maladie initiale.

Références

* Micheline Lévy : “L’angoisse de recevoir et de transmettre une maladie rénale génétique”.
Psychologie Néphrologie, sous la direction de D.Cupa ; EDK 2002.
* François Regnault : “Chemin héréditaire. De la dialyse à la greffe. Voix du silence”.
Fondation Mayer. “Pour le progrès de l’homme”.
Éditions d’En bas, Lausanne 1996.
* Marcel Rufo : “Frères et sœurs, une maladie d’amour”.
Fayard 2002.
* Témoignages : Revue Néphrogène n° 35, Octobre 2003.